Paris, 31 janvier 1847. François Servais paraît sur la scène du Conservatoire de Paris. Hector Berlioz est dans la salle, qui écrit ensuite dans le Journal des Débats : « Le second concert nous a révélé un talent de premier ordre, un paganinien, qui étonne, attendrit et entraîne par sa hardiesse, ses élans de sensibilité et son impétueuse allure: je veux parler du grand violoncelliste Servais ».
Ce n’était pas la première fois que Berlioz assistait à un concert du célèbre virtuose ; le compositeur était également dans l’assistance quand Servais avait débuté à Paris, pendant l’hiver 1833-1834. Ce voyage à Paris avait été, pour le jeune Belge, à l’âge de vingt-six ans, une étape logique : il avait remporté quatre ans plus tôt un Premier prix à l’École royale de Musique à Bruxelles – le futur Conservatoire – et, depuis, était l’assistant de son maître Nicolas Platel et violoncelle solo de l’Orchestre du Théâtre Royal de la Monnaie. Rien ne paraissait l’avoir prédestiné à un tel parcours : né le 6 juin 1807 à Hal, une petite ville proche de Bruxelles, Servais était le fils d’un cordonnier et d’une ménagère. La famille était modeste, et le père Servais arrondissait les fins de mois en jouant à l’église et dans des bals. Dès l’âge de douze ans, le petit Servais l’accompagnera, comme violoniste et comme clarinettiste. À l’âge de 19 ans, Servais bénéficia de l’opportunité d’aller étudier le violoncelle à Bruxelles.
À partir de 1834, la carrière de Servais s’envole. En 1835, il se produit à la Philharmonic Society de Londres, en 1837 il donne un concert avec Liszt à La Haye, et en 1840 rencontre Richard Wagner. En 1842, Servais est invité à participer au premier concert des Wiener Philharmoniker et deux ans plus tard, il joue le Trio l’Archiduc de Beethoven avec Felix Mendelssohn et Ferdinand David au Gewandhaus de Leipzig. Servais voyagera ainsi jusque peu avant sa mort, survenue à Hal le 26 novembre 1866. Il a accompli huit grandes tournées en Pologne, en Russie, en Autriche-Hongrie, dans les pays baltes et en Scandinavie, sans compter d’innombrables déplacements en Belgique, Pays-Bas, France et Allemagne. De jeunes violoncellistes de tous pays venaient suivre ses leçons au Conservatoire de Bruxelles, où il enseigne à partir de 1848.
Berlioz l’exprime bien en 1847 : Servais voulait surprendre, émouvoir et emporter ; il menait cet assaut sans vergogne et avec une impétueuse sensibilité. En ce plein apogée du Romantisme, Berlioz appelle Servais un « paganinien », et, plus tard, Gioacchino Rossini et d’autres évoqueront en lui le « Paganini du violoncelle ». Le lien avec le virtuose violoniste Niccolò Paganini s’impose : la virtuosité digitale de Servais n’avait rien à lui envier. Il avait ainsi élargi considérablement les possibilités techniques du violoncelle : perfectionnant le jeu de la main gauche, il avait également une souplesse du jeu d’archet hors du commun et, surtout, imposa et rendit systématique l’usage de la pique. Quant aux trilles, aux appoggiatures, aux ornements divers, aux glissandi, aux passages en octaves et en flageolets, aux arpèges, rien ne lui en était étranger. L’instrument qui supportait la nouveauté de ce déploiement de forces était un violoncelle Stradivarius datant de 1701.
Au temps de Servais, le répertoire du violoncelle était encore fort réduit et peu fait pour démontrer les qualités hors normes d’un tel virtuose. C’est ainsi qu’il composa quatre concertos et des dizaines d’autres œuvres pour violoncelle et orchestre ou piano, et des duos pour violon et violoncelle ou pour deux violoncelles. À quelques exceptions près, Servais n’exécutait que ses propres œuvres. 70 d’entre elles furent publiées ; elles ont fait l’objet de plusieurs centaines d’éditions, à l’adresse de plus de 70 éditeurs du monde entier, et ce, de 1836 à nos jours. L’œuvre de Servais continue à rayonner aujourd’hui.
(c) Peter François – 2016 – traduction Michel Stockhem
Aperçu chronologique
Année | Evènement |
1807 | naissance de François Servais à Halle (6 juin) |
1820 | naissance de Sophie Feygin à Saint-Petersbourg |
ca. 1825 | leçons de violon de Corneille Vanderplancken, violoniste au Théâtre Royal de la Monnaie |
1827 | début des études de violoncelle chez Nicolas Platel à l’Ecole Royale de Musique à Bruxelles |
1829 | Premier prix de violoncelle |
1829-1833 | répétiteur dans la classe de violoncelle de Platel |
violoncelliste dans l’orchestre du Théâtre Royal de la Monnaie | |
chef d’orchestre de l’Harmonie Sainte-Cécile de Hal | |
1833-1834 | concerts à Paris |
1835-1866 | concerts dans toute l’Europe (voir à la page ‘violoncelliste’) |
1842 | mariage avec Sophie Feygin à Saint-Petersbourg (juin). Le couple aura six enfants |
1848-1866 | professeur de violoncelle à l’Ecole Royale de Musique à Bruxelles |
1865 | mariage Sophie Servais avec Cyprien Godebski à Halle (23 janvier) |
1866 | voyage de concert en Pologne et en Russie avec Joseph Servais |
derniers concerts à Spa (B), Arras (F) et Baden-Baden (D) | |
† François Servais à Hal (26 novembre) |